La loi Pacte pour les nuls par un non expert passionné…
Ecosystème 9 minutes

La loi Pacte pour les nuls par un non expert passionné…

Voilà des années que je lis et relis les textes sur le dispositif public d’aide à la création d’entreprises issues de la recherche (appelée abusivement « loi Pacte »). Je lis avec autant de passion les documents internes d’explication des organismes de recherche. C’est un bonheur pour les passionnés de logique pataphysicienne.

Nous avons à Inria Startup Studio de nombreux chercheurs permanents se posant la question de créer une startup et la loi définit les règles que les chercheurs (essentiellement fonctionnaires) doivent suivre quand ils souhaitent faire partie de l’aventure d’une startup dès ses débuts, que ce soit à travers des activités de conseil ou des activités de direction, et de manière induite à travers des participations actionnariales dans ces entreprises.

Voilà des années que je lis et relis les textes sur le dispositif public d’aide à la création d’entreprises issues de la recherche (appelée abusivement « loi Pacte »). Je lis avec autant de passion les documents internes d’explication des organismes de recherche. C’est un bonheur pour les passionnés de logique pataphysicienne [1].

Mais avant de décrire aussi simplement que possible les possibilités de la « loi Pacte », il faut connaître les obligations générales, règles de prévention des conflits d’intérêt, règles de cumul décrites dans les articles 121 à 125 du Code de la Fonction Publique : pour faire simple, tout est interdit, sauf ce qui explicitement autorisé.

Comme cela était assez frustrant pour certains, les règles ont été progressivement assouplies. Le dispositif public d’aide à la création d’entreprises issues de la recherche (notamment les articles 531-1 à 531-17 du Code de la Recherche), suite et évolution de la loi Allègre de 1999, décrit les exceptions à ces règles générales d’interdiction.

Les trois dispositifs proposés aux chercheurs

Il y a en gros trois dispositifs :

  • Être associé (actionnaire) ou dirigeant d’une entreprise en création (531-1) ou existante (531-6) à condition qu’il y ait, dans un délai d’un an à compter de la délivrance de l’autorisation, un contrat de valorisation de travaux de recherche (réalisés ou non par le demandeur).
  • Apporter une expertise (le « Concours Scientifique ») à une entreprise existante (531-8) avec les mêmes contraintes que le point précédent.
  • Être membre des organes de direction d’une entreprise (531-12), afin de favoriser la diffusion des résultats de la recherche publique. Je l’ai compris comme être membre du conseil d’administration ou du conseil de surveillance car être dirigeant entre dans le cadre du premier point. Notez qu’il n’y a plus nécessité de contrat de valorisation pour ce dernier cas.

La valorisation des travaux de recherche 

Le terme « valorisation des travaux de recherche » m’a posé lui aussi question. Je crois qu’il est question de contrat de licence de propriété intellectuelle « technique » (à savoir dépôt de brevet ou droit d’auteur sur du logiciel technique issu des travaux de recherche) mais sans doute pas d’autres types de propriété intellectuelles non technique (comme les marques, le design de nature artistique et non technique). Je peux imaginer qu’il y a une zone grise sur des documents technique secrets (décrivant un savoir-faire), sur du design technique (plans et dessins) ou des prototypes. Dernier sujet : le logiciel open source. Si le type de licence open-source donne à chacun les mêmes droits, il semble difficile d’intégrer un logiciel open source dans la valorisation des travaux de recherche. Je n’ai trouvé aucun texte sur le sujet. Tout dépendra de la nature open-source du logiciel.

Une parenthèse

Parenthèse utile, j’aurais dû au préalable indiquer ce que sont les règles lorsque l’entreprise n’a pas de lien avec l’administration du demandeur. Celui-ci semble avoir le droit d’en détenir des parts (si par exemple cela contribue à la gestion de son patrimoine) s’il n’y a pas de risque de conflit d’intérêt. Vous pouvez détenir des parts dans une pizzeria à condition que celle-ci ne vende pas une part de sa production à votre administration. Idem pour posséder des actions Google : assurez-vous que cette action n’est pas de nature à compromettre votre indépendance de chercheur.

Les possibilités offertes en pratique

Parenthèse refermée. En pratique, en revenant aux trois dispositifs mentionnés plus haut,

  • soit le demandeur souhaite garder son activité de chercheur à plein temps, il fera alors une demande de Concours Scientifique lui laissant en général 20% de son temps (libre ?) à consacrer à l’entreprise sous forme d’expertise et même plus : il peut en effet accomplir des tâches plus larges que le conseil, à condition que la convention entre l’entreprise et l’institut de recherche le précise. On trouvera plus d’information dans les liens en fin d’article ;
  • soit le demandeur souhaite s’impliquer comme dirigeant  ou employé dans l’entreprise, il fera alors une demande de Mise à Disposition à quotité de temps à définir. Le détachement est une alternative, assez rarement mise en pratique me semble-t-il. Pendant la première année, son employeur ne devrait pas demander de remboursement à l’entreprise, mais le fera dès la deuxième année (sauf exonération – exceptionnelle – accordée par le Conseil d’Administration de l’établissement de recherche). Il semble qu’être actionnaire sans avoir une activité avec l’entreprise ne soit pas envisageable, ne pensez pas à être un simple investisseur dormant (même si la chose ne semble pas tout à fait impossible) ;
  • enfin si le chercheur ne trouve pas la bonne réponse dans les deux cas précédents, il peut envisager de rejoindre les organes de direction. Ce dernier cas semble être la moins courante des trois alternatives.

Dans tous les cas, le demandeur peut être actionnaire de l’entreprise dans des conditions spécifiques. Il peut aussi avoir droit à des compléments de rémunération dépendant des trois situations.

Les autorisations sont accordées « par périodes de trois ans maximales », dans la limite d’une durée totale de dix ans. Une réponse doit vous être donnée dans un délai de 4 mois, faute de quoi la demande est refusée (vous avez bien lu, refusée), sauf semble-t-il si votre employeur a demandé son avis à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Tout cela est valable pour les fonctionnaires et aussi en théorie agents contractuels engagés depuis au moins une année d’après l’article 531-17. Mais les conditions spécifiques doivent être fixées par un décret dont je ne connais pas l’existence et qui me semble ne pas exister. Et pour ces agents, il y a une phrase sibylline à l’article 3 du décret d’application des articles 413-1 et suivants : « A compter de la date d’effet de l’autorisation, l’administration met fin aux fonctions de l’agent. »

En conclusion, contactez les experts

Je l’avoue, plus je crois comprendre, plus la complexité des textes m’interpelle. C’est un scientifique qui parle, qui a souvent tendance à faire table rase du passé. Le droit n’est pas une activité scientifique, c’est une activité humaine qui prend en compte l’histoire et les tensions d’une société. Il faut donc accepter cette complexité. Alors conseil d’ami : contactez vos ressources humaines et espérez qu’elles interprètent le texte selon vos desiderata ou du moins trouvent une solution pour que vous puissiez vous lancer dans l’aventure…

[1] Le rapport d’activité 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique consacre 5 pages [37-41] au sujet et je cite : « Le cadre juridique relatif aux différents types de cumul d’activités susceptibles d’être autorisés s’avère particulièrement complexe à appréhender à la fois pour les administrations et pour les agents publics. […] Cette complexité du dispositif encadrant les cumuls d’activités autorisés, ainsi que la confusion avec les missions auparavant dévolues à la Commission de déontologie de la fonction publiques en la matière expliquent en grande partie ces difficultés. »

Articles de loi

Article 123-1 du Code de la Fonction Publique – Règles de Cumul https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000044416551/LEGISCTA000044420763/#LEGISCTA000044427823

Articles 411-1 et suivants du Code de la Recherche – Missions et garanties fondamentales. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071190/LEGISCTA000006137613/#LEGISCTA000006137613

Articles 242 et suivants du Code de la Recherche – Dispositions statutaires communes aux corps des fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000045731212

Articles 531-1 et suivants du Code de la Recherche – Participation des personnels de la recherche à la création d’entreprises et aux activités des entreprises existantes https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071190/LEGISCTA000028617108/#LEGISCTA000028617108

Décret d’application n° 2019-1230 du 26 novembre 2019 portant application des articles L. 531-1 à L. 531-17  https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039421850

La mise à disposition des agents contractuels https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000045662442

Loi de Programmation de la Recherche 2021-2030 https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042137953/

Quelques liens complémentaires

Pour les employés Inria, la note sur l’intranet de l’institut, Mobilité du personnel de recherche d’Inria vers les entreprises https://gedei.inria.fr/decision/silo/decisions/14826.pdf

Les explications (claires et exhaustives) données par BPIFrance https://bpifrance-creation.fr/encyclopedie/porteur-projet-preparation-droits-obligations/situation-droits-obligations

Un autre point de vue assez clair de l’INP Grenoble https://www.grenoble-inp.fr/fr/recherche-valorisation/loi-sur-l-innovation

Focus sur le Concours Scientifique selon Ouest Valorisation https://www.ouest-valorisation.fr/dossiers-d-experts/les-personnels-de-recherche-dans-lentreprise-focus-sur-le-concours-scientifique/

Une publication du syndicat SGEN CFDT sur le cumul d’activités en 2020 https://sgenplus.cfdt.fr/article/cumul-dactivites/

Rapport d’activité 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique https://www.hatvp.fr/rapports_activite/rapport_2020/pdf/HATVP_RA2020.pdf

Date de publication : 17/10/2023

Tags : chercheur entrepreneur startup

Hervé Lebret

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