Peut-on encore faire une startup IA ?
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Peut-on encore faire une startup IA ?

Les opportunités et les défis de l’entrepreneuriat dans l’intelligence artificielle étaient au cœur de la Fête des Startups 2025 organisée par Inria Startup Studio. Retour sur cet événement qui fait dialoguer chercheurs, entrepreneurs et investisseurs de l’écosystème français. Trois ans après ChatGPT, l’IA ne cesse de bousculer les usages du…

Les opportunités et les défis de l’entrepreneuriat dans l’intelligence artificielle étaient au cœur de la Fête des Startups 2025 organisée par Inria Startup Studio. Retour sur cet événement qui fait dialoguer chercheurs, entrepreneurs et investisseurs de l’écosystème français.

Trois ans après ChatGPT, l’IA ne cesse de bousculer les usages du grand public, mais aussi le monde de la recherche, l’écosystème startup et les principaux acteurs du capital-risque. Plusieurs questions se posent, face aux milliards engagés par les géants du numérique : « Peut-on encore faire une startup IA ? », « Quels financements pour les startups IA ? » et « Les startups IA inventeront-elles vraiment le monde de demain ? »

À l’heure où l’IA semble rendre toutes les initiatives possibles, on imagine naturellement qu’elle sera au cœur de la prochaine génération de startups capables de changer le monde. Pour autant, les freins sont nombreux : « l’accès à l’énergie, les conséquences sur le climat, les enjeux liés au recrutement et à la fidélisation des talents, ou l’accès aux financements », liste Sophie Pellat-Velluire. « En tant que startup, comment faire son chemin dans cette complexité ? », demande la co-directrice d’Inria Startup Studio aux participants de l’une des tables rondes de la Fête des Startups 2025 organisée par l’entité.

Fête des startups 2025 © Inria / T. Bour

Le meilleur moyen de prédire le futur, c’est de l’inventer

« Dans tous leurs pitchs, les entrepreneurs veulent rendre le monde meilleur. Quelle que soit la technologie, elle va s’imposer sur son marché avant d’en conquérir d’autres et, in fine, de tout changer », s’amuse Mehdi Medjaoui, fondateur d’Olympe.legal, un assistant IA au service des DPO. Et dans le cadre de l’IA, c’est en partie vrai : « L’informatique, le Web, le SAAS… l’IA. Bien sûr, il y a des limites techniques, et bientôt physiques, à son développement. Mais ceux qui vont convaincre les investisseurs sont ceux qui ont une vision », indique l’entrepreneur. Et quelle vision ou promesse peut être plus engageante que celle de révolutionner le monde ?

« L’IA nous permet de faire en quelques jours ce qu’il était possible de faire en quelques mois auparavant. Il y a une accélération, mais elle soulève une question : Sommes-nous en train de trouver les solutions pour construire, en mieux, le monde de demain ? Ou sommes-nous en train d’aggraver les problèmes d’aujourd’hui ? », se demande Baptiste Fradin, directeur général de Matters, un fond à impact qui, au moment d’investir dans une startup, étudie les externalités positives et négatives de son activité. « Quand on parle d’IA, on parle de consommation d’énergie, qui est gigantesque. Aujourd’hui, l’IA représente 10 % de la consommation des data centers, et devrait représenter 50 % de celle-ci en 2030. »

Innover ou réglementer… Une question de choix

« L’IA permet de gagner en efficacité, mais ce n’est pas ce qui va résoudre les problèmes environnementaux ou sociétaux. Ce sont avant tout les choix humains qui vont permettre d’avancer. L’IA n’est qu’un outil », prévient Nicolas Turpault, fondateur et CEO de Sonaid, startup accompagnée par Inria Startup Studio, à l’origine d’une IA embarquée dans des objets connectés susceptible de détecter tout type de son, notamment ceux permettant d’identifier une situation d’urgence.

« Si l’on alloue tous nos moyens à la résolution d’un problème, on aura plus de chances de le résoudre rapidement, mais il y aura plein d’autres sujets qu’on ne résoudra pas. C’est une question de choix. Être entrepreneur, c’est pouvoir développer un projet qui correspond à ses valeurs », indique-t-il, évoquant le choix de l’IoT comme un moyen d’être plus frugal et en conformité avec la protection des données personnelles.

Eléonore Zahlen, Mehdi Medjaoui, Baptiste Fradin – Fête des startups 2025 © Inria / T. Bour

Se pose alors la question de la réglementation, qui « a le mérite de poser la question du monde dans lequel on veut vivre demain et d’essayer de mettre en place les garde-fous qui vont permettre d’y arriver », indique Eléonore Zahlen, avocate au barreau de Paris et cofondatrice du cabinet Bold, pour qui le monde de demain sera façonné par les startups, comme l’a été celui d’aujourd’hui, où des pans entiers de l’économie sont « ubérisés » et où l’on « googlise » quand on recherche en ligne.

Mais selon elle, on oppose trop souvent régulation et innovation alors que le principal frein de cette dernière reste le financement : « Les besoins de l’entrepreneur, tant en matière de qualité que de sécurité du produit, s’alignent avec ce que demande la réglementation. Mais seul le financement permet de développer ce produit. »

L’intelligence artificielle attire la majorité des capitaux

Ainsi, la question n’est pas tant : « Peut-on encore lancer une startup IA ? », mais « Peut-on lancer autre chose qu’une startup IA en trouvant les financements ? », demande Mehdi Medjaoui.

« Entre 50 et 80 % des fonds des investisseurs sont fléchés vers des sociétés IA », reconnaît Matthieu Lavergne, partner chez Serena Capital et intervenant d’une autre table ronde dédiée au financement, animée par Hervé Lebret, co-directeur d’Inria Startup Studio.

Systématiquement, les startups font face à des géants, dotés de moyens colossaux et disposant déjà d’un accès important aux utilisateurs et à leurs données. Pour autant, des opportunités subsistent, dès lors que l’investisseur regarde des startups positionnées « à la marge », sur des segments de niche, mais dont la technologie a la capacité d’adresser d’autres problématiques. « Nous avons investi dans une solution spécialisée dans la distinction des locuteurs dans un fichier audio. C’est une IA traditionnelle, et non un LLM, qui réalise une tâche très spécifique, mais nécessaire pour tout traitement de l’audio. Et on sait que l’audio sera un moyen d’interagir avec les IA, au même titre que le texte. La solution devient ainsi plus attractive… », explique Matthieu Lavergne.

Des opportunités chez les startups capables de briser les silos

Un potentiel de « fertilisation croisée », évoqué par Hakima Berdouz, CEO de Hope Valley AI, une jeune startup accompagnée par Inria Startup Studio, et dont l’IA permet de détecter des signaux faibles pour prédire des événements rares, d’un incident sur un réacteur nucléaire à un cancer du sein : « Nous avons développé une IA de quatrième génération, éthique, frugale, cybersécurisée par design et conforme à la réglementation. Nous avons dû nous positionner sur un segment, celui de l’oncologie, avec ce premier cas d’usage sur le cancer du sein », explique la fondatrice, qui regrette ce besoin de positionnement vertical : « Notre technologie est générique, à la différence des investisseurs ! Nous avons misé sur l’oncologie, car sur les huit brevets déposés cette année, plusieurs concernent la détection du cancer. Mais, à terme, nous allons sans doute créer une filiale pour adresser l’industrie. »

Face à l’approche américaine, qui favorise la « fertilisation croisée » entre les domaines, elle déplore au passage les freins des investisseurs français, tant en termes de vision que de moyens : « Ne pas entrer dans les clous leur fait peur. Nous nous retrouvons à peiner pour lever 2 millions d’euros, quand nos concurrents américains ou chinois obtiennent 10 ou 100 millions très facilement. »

Fête des startups 2025 © Inria / T. Bour

La souveraineté au cœur de la thèse d’investissement de France 2030

Mais les startups ne sont pas les seuls acteurs impactés par l’IA, et qui intéressent les investisseurs, comme l’explique Nadi Bou Hanna, fondateur de la société d’investissement Flore Group. Bien que les investissements dans l’IA soient massifs, il reste selon lui encore des segments à conquérir : « Nous avons investi dans une startup issue d’Inria Startup Studio qui est, pour résumer, un LLM audio. Nous regardons aussi de plus en plus les sociétés de services “augmentées” par l’IA. Et plus généralement, les entreprises installées, qui ont une base de clients et un savoir-faire reconnu et dont le métier est transformé par l’IA, avec à la clé de gros gains de compétitivité. »

Une approche détaillée par Anuchika Stanislaus, conseillère numérique et grands projets de France 2030, qui, sur cette même table ronde, détaille la thèse d’investissement de ce programme lancé en 2021 et doté de 54 milliards d’euros : « Nos deux piliers sont : la souveraineté, c’est-à-dire maîtriser notre dépendance et avoir une solution fonctionnelle et sécurisée sur laquelle s’appuyer ; mais aussi la compétitivité, qu’il faut pouvoir évaluer à court, moyen et long terme. » Elle compare l’approche de la France et celle des États-Unis : « Pour eux, les gagnants ne sont pas seulement ceux qui ont les meilleurs modèles, mais ceux qui leur permettent d’être utilisés à grande échelle. Mais les hyper scalers développent des outils à destination de ceux qui sont derrière un bureau », là où France 2030 mise sur le fait que tous bénéficieront des avancées de l’IA, des restaurateurs aux transporteurs routiers, sans oublier les agriculteurs.

La donnée et la science, principaux atouts d’une startup IA comme Therapixel

Un bon résumé des différents sujets abordés lors de cette Fête des Startups nous est proposé lors de la keynote de clôture de Pierre Fillard, fondateur et Chief Science Officer de Therapixel, entreprise pionnière de l’IA et de la santé en France, issue d’Inria et fondée en 2013.

Spécialisée dans la détection des cancers du sein, la solution propose un dispositif médical aidant les radiologues à analyser chaque année près de 2 millions de mammographies pour y trouver des éléments anormaux.

Pierre Fillard – Fête des startups 2025 © Inria / T. Bour

Mais pour y parvenir, Pierre Fillard a dû surmonter de nombreux défis : « Nous avons mis trois à quatre ans pour collecter une base de données complète, nécessaire à l’entraînement de notre modèle. Pendant ce temps, nous n’avions pas de revenus, aussi il fallait lever des fonds. L’aspect réglementaire, quand on lance un dispositif médical, peut être un mur difficile à franchir si l’on ne s’y prend pas assez tôt. Et enfin, il y a le marché… Notre produit va-t-il trouver des acheteurs ? C’est la grande question ! »

Des défis qui n’ont pas empêché Therapixel de poursuivre sa quête d’excellence : « Nous n’arrêtons jamais d’innover, au point où nous ne brevetons pas nos innovations, car ce sur quoi nous travaillons actuellement va ringardiser ce que nous serions susceptibles d’avoir breveté. » De plus, « les données, et votre capacité à en sécuriser l’accès, sont plus importantes qu’un brevet. Nous avons les données d’un peu plus d’un million de patientes, soit 5 millions d’examens et 10 à 15 millions d’images. Nous continuons à enrichir cette base de données tous les jours. »

Mais si « la donnée et la science sont le moteur de la fusée, les financements en sont le carburant. » Face aux investisseurs, gare à ne pas trop enjoliver la promesse de votre entreprise ou votre capacité à la délivrer. « Lever des fonds, c’est partager une vision. On veut changer le monde certes, mais il faut expliquer comment, quelles sont les étapes pour vous permettre d’y arriver, et les besoins en financement pour les atteindre. »


Le programme de la Fête des Startups 2025

Cette nouvelle édition de la Fête des Startups d’Inria Startup Studio, organisée le 20 novembre 2025, s’est articulée autour de tables rondes et interventions qui ont tous concourus à répondre à cette question « Peut-on encore faire une startup IA ? ».

Table ronde : Quel financement pour quelle startup IA ? Animée par Hervé Lebret, co-directeur d’Inria Startup Studio,

Avec la participation de :

Table ronde : Les startups IA inventeront-elles vraiment le monde de demain ? Animée par Sophie Pellat-Velluire, co-directrice d’Inria Startup Studio

Avec la participation de :

Les témoignages d’entrepreneurs et de chercheurs :

Les pitchs des startups actuellement accompagnées par Inria Startup Studio : Akhet Solutions, Protomia, Superblabla, Avenzor, Vitidrone, Sand Fox, XHOLD, Cirus, Predeeption, Blur Labs, Augura Space, SensiPH, Proficlais, Vidjil biotech, MinimAI, Awdacity, Physicae, Facila, Green Field IT, AreWeMe, Shora AI, On the fly, Kerflow, Axiom, Cygon.

Et enfin, la keynote de clôture de Pierre Fillard, fondateur et Chief Science Officer de Therapixel.

Date de publication : 05/12/2025

Tags : deeptech entrepreneur Fondateur ia startup

Sophie Barre

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