Les startup IA inventeront-elles vraiment le monde de demain ?
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Les startup IA inventeront-elles vraiment le monde de demain ?

Comment les startups IA vont-elles pouvoir émerger et, a fortiori, inventer le monde de demain, face aux enjeux qui sont les leurs ? Certes, d’un côté, le potentiel innovant de l’IA semble illimité. Mais de l’autre, elles font face à une concurrence féroce dont les moyens semblent tout aussi conséquents,…

Comment les startups IA vont-elles pouvoir émerger et, a fortiori, inventer le monde de demain, face aux enjeux qui sont les leurs ? Certes, d’un côté, le potentiel innovant de l’IA semble illimité. Mais de l’autre, elles font face à une concurrence féroce dont les moyens semblent tout aussi conséquents, et à des limites qui sont, elles, bien réelles : « l’accès à l’énergie, les conséquences sur le climat, les enjeux liés au recrutement et à la fidélisation des talents, la réglementation, ou encore l’accès aux financements », liste Sophie Pellat-Velluire, co-directrice d’Inria Startup Studio, en introduction d’une table ronde organisée ce 20 novembre lors de la Fête des Startups 2025.

Dans ces conditions, difficile de dire si les startups qui ont émergé ces dernières années dans le secteur de l’IA auront le succès de leurs prédécesseurs de l’ère digitale. « Nous vivons dans un monde qui a été façonné par des startups il y a 15 ou 20 ans », rappelle Eléonore Zahlen, avocate au barreau de Paris et cofondatrice & partner de Bold, citant des acteurs comme Google ou Uber, dont les noms sont devenus des verbes et des adjectifs communs pour décrire la recherche en ligne ou la plateformisation.

Sophie Pellat-Velluire, Nicolas Turpault, Eléonore Zahlen, Mehdi Medjaoui, Baptiste Fradin – Fête des startups 2025 © Inria / T. Bour

Réglementation et financements : les startups peuvent-elles lutter à armes égales ?

Mais plus que la réglementation, qui n’est qu’un cadre permettant de défendre le consommateur et, plus généralement, la vision et les valeurs européennes, l’avocate pointe l’accès aux financements comme principale barrière au développement des startups. « Oui, la réglementation peut ralentir. Mais on peut toujours s’en accommoder. C’est même une bonne chose si elle permet de créer des produits fiables, qui inspirent confiance aux consommateurs. En ce sens, elle s’aligne souvent avec les enjeux de l’entrepreneur », ajoute-t-elle, indiquant qu’au lieu de se brider, les startups qui innovent tout en étant conformes en tireront des avantages compétitifs supplémentaires. « Plutôt que de faire une solution basique, mieux vaut accepter de jouer les règles de l’IA Act, de mettre en place une roadmap et de faire au fur et à mesure… »

Mais le jeu en vaut-il la chandelle, alors que les géants américains et chinois ne s’embarrassent pas de ces réglementations ? La question est posée par Mehdi Medjaoui, fondateur d’Olympe.legal, un assistant IA qui est justement au service des DPO, et cofondateur des conférences Apidays. « ChatGPT n’a respecté aucun copyright pour en arriver là où ils sont. De même qu’auparavant, Uber ou Airbnb ont systématiquement joué avec le législateur. Ils sont même les premiers à dire qu’il faut réglementer, à partir du moment où ils ont atteint la puissance nécessaire pour peser dans les négociations… »

Mais pour atteindre ce poids, encore faut-il avoir les poches profondes. D’où une situation paradoxale : « La question n’est pas tant : “Peut-on encore lancer une startup IA ?”, mais “Peut-on lancer autre chose qu’une startup IA en trouvant les financements ?” », explique-t-il, s’amusant que, pour séduire les investisseurs, il faut souvent convaincre de sa capacité à inventer le monde de demain. « Comme l’a dit Alan Kay : le meilleur moyen de prédire le futur, c’est de l’inventer. Beaucoup d’entrepreneurs, en Europe et surtout en Californie, veulent changer le monde. Au point où cela en devient caricatural, comme dans la série Silicon Valley : dans tous les pitchs, il s’agit de rendre le monde meilleur. Quelle que soit la technologie, elle va l’emporter sur son marché avant d’en conquérir d’autres et, in fine, de tout changer. Mais quoi de plus engageant que la promesse de révolutionner le monde ? »

L’IA, un moyen de résoudre les problèmes ou un risque de les aggraver ?

Une « bataille des imaginaires » qui n’est qu’une partie d’une compétition de plus en plus féroce selon Mehdi Medjaoui, qui rappelle que dès que ChatGPT sort une nouvelle fonctionnalité, il tue 20% des startups qui font de l’IA ! De quoi s’interroger sur les ressources massives déployées dans le secteur.

« L’IA nous permet de faire en quelques jours ce qu’il était possible de faire en quelques mois auparavant. Il y a une accélération, mais elle pose une question : sommes-nous en train de trouver les solutions pour construire, en mieux, le monde de demain ? Ou sommes-nous en train d’aggraver les problèmes d’aujourd’hui ? », se demande Baptiste Fradin, investisseur à impact et directeur général de Matters. « Si l’IA a le potentiel de construire un monde meilleur, il faut accompagner les startups qui vont faciliter son développement. Mais un fonds à impact comme Matters, au moment d’investir, regarde également les externalités positives ou négatives générées par une entreprise. Quand on parle d’IA, on parle de consommation d’énergie, qui est gigantesque. Aujourd’hui, l’IA pèse 10% de la consommation des data centers, et devrait peser 50% de celle-ci en 2030. »

Un ensemble de problèmes qu’il faut décider d’adresser, ou non, selon Nicolas Turpault, fondateur et CEO de Sonaid. Lui a fait son choix : son IA embarquée dans des objets connectés permet d’identifier des sons caractéristiques d’une situation d’urgence, et de donner l’alerte automatiquement. Par design, sa solution se veut frugale en énergie et compliante, le traitement de la data se faisant en local. « Nous sommes entourés d’objets connectés, mais aucun ne se déclenche automatiquement pour vous venir en aide en cas de besoin. Par contre, vous pouvez demander à un LLM tout un tas de choses. Si l’on alloue tous nos moyens à la résolution d’un problème, on aura plus de chance de le résoudre rapidement mais il y aura plein d’autres sujets qu’on ne résoudra pas. Ce sont avant tout les choix humains qui vont permettre d’avancer. L’IA, ce n’est qu’un outil. »

« Foncez, oubliez que vous n’avez aucune chance »

Et de conclure : « Demandez-vous pourquoi vous créez votre start-up. Ne le faites pas uniquement pour l’argent, cela ne marche pas. Soyez surtout alignés avec vos valeurs. » Une approche qui donne du sens, tant pour les collaborateurs que pour les fabricants partenaires, ravis de pouvoir développer de nouveaux services basés sur ces solutions embarquées dans leurs produits.

De quoi pousser les participants à cette table ronde à partager quelques conseils avec l’audience. Si pour Éléonore Zahlen, « les start-up ont une grande responsabilité, presque plus grande que celle du législateur », afin de changer le monde, Mehdi Medjaoui conseille, pour y parvenir, de se donner les moyens de ses ambitions. « Et surtout, entourez-vous des bonnes personnes.»

« Foncez, oubliez que vous n’avez aucune chance, mais avancez avec méthode », lâche de son côté Baptiste Fradin, en référence aux Bronzés font du ski. Car l’essentiel, c’est Nicolas Turpault qui le rappelle : « il ne faut pas avoir peur de l’échec, parce que ce n’est pas grave de rater ».

Date de publication : 05/12/2025

Tags : deeptech entrepreneur ia startup

Sophie Barre

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